AA : Les nouveaux voisins
Le jour où Sage Bonnepat avait passé la corde au cou d’Omar Simsandson, elle aurait mieux fait de se pendre avec. Crasseux comme un peigne, feignant comme une couleuvre et incapable de conserver un travail plus de trois jours, il avait tout du parfait parasite. Mais voilà ce que c’est que de fêter Pâques avant les Rameaux : Elle était enceinte jusqu’aux yeux et le médecin lui avait annoncé qu’elle attendait des jumeaux. Pas question de faire la difficile. Omar était prêt à l’épouser ? Epousons Omar. Un moment d’égarement qu’elle allait payer cher, je vous prie de croire. Ne pouvant toujours prétendre souffrir de la migraine, elle avait été contrainte de partager le lit de ce répugnant personnage qui lui avait fait un troisième enfant : Une petite fille nommée Marjorie.
Je fis la connaissance de Sage et de sa famille le jour où ils vinrent s’installer en face de chez moi. Lasse de vivre en location dans un appartement insalubre et bruyant, elle avait acheté un pavillon clés en main -avec l’argent de l’héritage de ses parents- d’après ce que j’avais entendu dire à l’épicerie.
Soulevant le rideau de ma fenêtre, j’épiai tous leurs faits et gestes. -Les distractions sont tellement rares dans le coin pour une pauvre vieille de 58 ans-. Je me demandais bien ce que c’était que cette engeance. Des gamins y en a qui sont bien mignons, mais y en a aussi qu’ont le don pour inventer les bêtises. Et j’allais vite me rendre compte que si la gamine, Anna-Lisa, était du genre bien mignonne, le fils Marc, c’était de la véritable graine de voyou.
M’a pas fallu bien longtemps pour me faire une opinion sur le père : Un sacré loustic celui-là. Pas fichu de lever le petit doigt pour donner un coup de main à sa femme, mais pour lever le coude, pas de problème. La petite Sage était drôlement bien organisée par contre, elle promenait partout le pot de chambre pour apprendre à sa petite dernière à être propre.
La seule chose que je lui reprocherais, -et encore, c’est pas un vrai reproche-, c’est d’être cent fois trop bonne avec ses enfants. Comme on dit, trop bonne, trop… bonne. Ils en profitaient les petits monstres. Surtout le fils je vous l’accorde, mais les autres faisaient trop rien pour arranger les choses non plus. Surtout la petite dernière qui réclamait des histoires à longueur de journée. Je te lui en aurais fichu des histoires, moi !
J’avais pour habitude de tenir un petit journal où je consignai toutes les choses importantes de ma vie : la mort de mon chat, la visite de monsieur le Curé, le re-mariage de ma belle-sœur Germaine -où que j’étais pas invitée mais que j’en avais quand même rempli des pages et des pages rien que de ce qu’on en avait fait comme ragots dans le quartier. Mais du jour où les Simsandson sont arrivés, j’ai bien cru que j’aurai jamais assez de feuilles pour écrire tout ce que je remarquais chez eux.
Le père et le fils ont commencé à se disputer à qui qu’irait aux toilettes le premier.
C’est le père qu’a fini par gagner. Au plus fort la poche, comme on dit. Enfin, là je dirais surtout que le gamin, enflé comme une volige, il faisait pas le poids face au gros tas. Il est allé s’installer devant la télé. C’est ça les jeunes couples aujourd’hui, ça n’a pas de fric pour remplir le frigo, mais ça saurait pas se passer de télé.
Fin bref, le gamin, il s’est scotché devant la télé une bonne partie de la matinée, comme ils l’avaient pas encore inscrit à l’école.
La gamine, Anna-Lisa, elle était tout de même plus dégourdie. Au moins elle faisait quelque chose d’utile : elle s’entraînait à peindre. Pas qu’elle soit bien-bien douée pour la peinture, remarquez, mais faut un début à tout, et ça vaut mieux de gribouiller que d’inventer les bêtises.
Et puis Omar –puisque paraît qu’il s’appelle Omar- est allé chercher le journal. Croyez vous qu’il aurait cherché du travail ce feignant ? A ce qu’on raconte il voulait absolument rentrer dans la police comme agent de sécurité. Mais ça l’arrangeait bien qu’on lui propose pas de place, allez !
La petite Sage a commencé à apprendre la marche à Marjorie.
Pendant ce temps là, son feignant de mari s’amusait à jouer à pierre/feuille/ciseaux avec le voyou.
Regardez-moi s’il avait l’air bête.
Y avait pas plus content que lui d’avoir réussi à battre son fils.
Tu parles d'un exploit !
Encore que, pendant qu’il se faisait battre à plate couture à pierre/feuille/ciseaux, le gamin en oubliait de faire des bêtises. Mais dès qu’il a eu un moment à lui, il a commencé la série en faisant le pirate dans la baignoire.
Points : 20
Omar n’y tenait plus. Il a pas pu attendre que sa femme fasse la cuisine, l’a fallu qu’il aille se tartiner un sandwich. Un seul notez bien, rien que pour lui. Et non sans râler par dessus le marché.
- Mais qu’est ce que tu fabriques Sage ? Tu pouvais pas servir le repas ?
Points : 10
- J’apprends à Marjorie à aller sur le pot, je peux pas être partout, s’est excusée la petite Sage.
T’aurais pas pu attendre cinq minutes ?
Nan il aurait pas pu, faut croire.
Quand il a eu avalé son sandwich, il est monté dans un taxi.
Moi, les hommes qui laissent leur femme à la maison pour aller traîner en ville, je m’en méfie. Alors comme Sage était trop occupée pour le surveiller, j’ai sauté dans ma Smoogo et je l’ai suivi. Il était pas du genre coureur, c’est déjà ça. Plutôt du genre à se prélasser sur la banquette et à perdre son temps. Je le quittais pas de l’œil, le lascar. Qu’il se permette seulement UNE entorse au code de bonne conduite et je te lui aurais refilé un coup de mon sac à main sur le museau qu’il aurait pas été prêt de l’oublier.
Mais-non, il est allé jouer au bowling.
Jamais vu un nullard pareil.
Nan-nan, croyez pas qu’il avait réussi un strike.
Il pétait de joie quand il renversait une malheureuse quille.
Quand il s’est enfin décidé à rentrer. Sage avait préparé le dîner. Elle cria :
- A table tout le monde !
Seule la petite Anna-Lisa est venue sagement s’installer devant son assiette.
- Où est ton frère ?
- Marc ? Je crois qu’il est dans sa chambre,
Y avait de quoi s’inquiéter avec le phénomène.
- Il fait quoi dans sa chambre ? Maaaarc ! T’as pas entendu ? J’ai demandé de passer à table.
Ah-ben, ça risquait pas qu’il entende. Il avait transformé son lit en trampoline, et ça y allait que je te saute et que je te saute. Un beau lit tout neuf, qui coûtait au moins 450 $. Il aurait vite fait de leur déglinguer le sommier.
Points : 30
Omar s’est décidé à quitter son lit pour les rejoindre. Je vous dis pas dans quelle tenue. J’ai failli en lâcher une maille sur mon tricot, mais Sage lui en a quand même fait la remarque Et moi alors ? Je suis obligée de subir ça ? Oui-bon d’accord, sont pas obligés de savoir que je les observe à la jumelle. Mais quand même… un peu de tenue, que diable !
- Omar, t’aurais pu t’habiller pour passer à table. Tu crois que c’est un exemple pour les enfants ? Si quelqu’un te voyait.
- Qui veux-tu qui me voit ? Les enfants ? M’ont déjà vu en slip, z’en ont jamais perdu la vue.