16. Une nuit en enfer
C’était l’enfer ! Affamée, épuisée, je ne trouvai même plus assez d’énergie pour aller aux toilettes. Je demandai à Engrang d’appeler la pizzeria, lui ordonnai d’aller se coucher et mentis pour le rassurer
- T’en fais pas mon chéri, maman va bien.
J’ai rassemblé mes dernières forces pour aller accueillir le livreur. Il était en veine de causette.
- Vous ! Vous êtes restée trop longtemps au soleil ! Faut faire attention avec le soleil, un coup de chaleur est si vite arrivé.
Je n’eus pas à répondre, il se rendit compte de lui-même que je n’étais pas en état.
- Vous devriez vous rentrer, conseilla-t-il.
La honte ! Il n’avait pas sitôt tourné les talons que…
D’un autre côté… au moins j’étais soulagée de la vessie.
Je me suis évanouie.
Je ne saurais dire combien de temps, mais sans la pluie, je crois que je ne me serais jamais réveillée.
Manger ! Surtout ne pas rester le ventre creux. La faim, conjuguée à la fatigue, avait coûté la vie à Elhamas.
Adrien qui était passé m’apporter une surprise n’eut pas l’idée de faire le tour de la maison et repartit sans avoir vu l’état de détresse dans lequel je me trouvais.
Dimanche 21ème jour
La fièvre avait quitté Engrang. Je lui demandai d’aller jouer dehors afin de pouvoir récupérer à mon tour.
J’étais à présent surveillée de près par les services sociaux qui m’adressèrent un ultime avertissement.
Vers 15 heures de l’après-midi. Je ressentis les douleurs de l’accouchement.
Après avoir poussé un grand cri, qui eut pour effet de réveiller Engrang en sursaut,
je donnai naissance à une petite fille que je baptisai : Amoua.
Brave Engrang. D’autres enfants se seraient précipités pour aller voir le bébé, mais lui, c’est pour moi qu’il s’inquiétait.
- Maman ! Pourquoi t’as crié ? T’es encore malade ? T’as mal ?
Cette fois, je n’eus pas à mentir pour lui affirmer que le plus dur était passé et que tout allait s’arranger.
Cette nuit là, nous dormîmes dans le même lit, tandis qu’Amoua s’appropriait la maison.
Et je fis enfin l’acquisition d’un frigo d’occasion que nous garderions définitivement.
Lentement, je reprenais confiance en la vie et je recommençai à faire des projets.
Quand j’aurai gagné 3 500 $ nous aurions peut-être une douche ou une baignoire définitive elle aussi. Et puis, il faudrait penser à agrandir la maison afin de pouvoir tous tenir à l’intérieur et ne jamais revivre le même cauchemar.
Lundi 22ème jour
L’automne était arrivé et avec les premières feuilles mortes, le temps était devenu supportable. Nous allions encore connaître de belles journées, mais les risques d’insolation iraient en diminuant.
Engrang m’annonça fièrement qu’il était le premier de sa classe avec une moyenne de 20/20.
La vie reprenait son cours normal.
Je n’avais pas revu Adrien depuis plusieurs jours mais les occupations ne me manquaient pas et je ne pensais pas à m’en inquiéter.
Mardi 23ème jour
Certains jours, c’était le vrai défilé devant la maison. Les braves gens venaient regarder la bête curieuse qui avait choisi de vivre dans la précarité. Leurs réactions m’amusaient car elles étaient généralement pleines de compassion et d’admiration.
- C’est pas possible ! C’est incroyable ! Et vous arrivez à vous en tirer avec deux enfants ?
Mais certains me crachaient leur mépris :
- Pauvre folle ! Et ça se permet d’avoir des enfants en plus !
Peu m’importait ! Tout ce qui comptait à mes yeux, c’était que mes enfants grandissent bien et qu’ils soient heureux.
De ce point de vue, pas de souci. Nous avons fêté ce soir là l’anniversaire d’Amoua.
Quelle joie de constater qu’elle me ressemblait trait pour trait.
Mercredi 24ème jour
Dès le lendemain, je commençais l’éducation de ma petite fille.
Matin et soir, inlassablement.
Il faut le savoir : une fois que les services sociaux ont commencé à fourrer le nez dans vos affaires, ils ne vous lâchent plus.
Moi, j’appelle ça du harcèlement.
Depuis la naissance de sa petite sœur, Engrang me faisait un blocage : il refusait de faire ses devoirs et ne voulait plus se laver. Il était temps pour lui de grandir et de devenir responsable.
Malgré les prévisions pessimistes des services sociaux, Engrang grandit bien, et même très bien.
Pas en platine –nan, pas en rouge non plus- mais en doré.
Bon sang ne saurait mentir : Il choisit aussitôt de faire fortune pour me venir en aide financièrement.
Il fut très déçu d’apprendre que je devais me débrouiller sans.
- Tu ne peux pas travailler non plus, ni vendre de tableaux, ni tes récoltes. La seule chose que tu puisses faire, c’est de bien travailler à l’école, lui expliquai-je.
- Mais alors ? Comment je pourrais t’aider, dis-moi.
- Tu pourrais… tu pourrais pêcher des poissons dans l’étang pour approvisionner le frigo, tu pourrais me donner un coup de main pour l’éducation d’Amoua. Il y a mille choses que tu peux faire si tu veux vraiment me rendre service.
Il choisit d’enseigner le langage à Amoua.