10. Question de poids mort
Nous avons toutes remarqué que Lorraine ne jouait pas franc jeu. Elle tente un rapprochement du côté d’Intell en lui proposant de faire son portrait.
Pensez bien qu’il ne s’est pas fait prier.
- Si tu veux, j’enlève mon survêt’ on verra mes muscles.
Le lendemain, il avait enlevé le haut. Mais Zundapp a surpris le manège.
- La semaine prochaine, t’enlèves le bas ? Nan-mais c’est quoi ce tableau ? Quand on est le seul mec dispo, on se fait oublier, on n’essaye pas d’exciter tout le monde avec ses muscles. Tu cherches la guerre ou quoi ?
Intell gêêêêné a été prié d’aller se rhabiller.
Du coup, on l’a envoyé récolter les tomates complètement insipides dans le jardin.
Entretenir celles de la serre, qu’on espérait un peu plus savoureuses.
Planter, arroser. Planter, vaporiser. Planter arroser, arroser et encore arroser.
Si bien qu’au bout du compte il finit par décrocher son badge d’argent de jardinage.
Je ne résiste pas à vous montrer au passage notre culture de bottes.
Entre nous, nous faisions des gorges chaudes des mésaventures d’Intell.
- T’as vu ? L’a plus le temps d’essayer de draguer Lorraine. Nan-mais ça lui apprendra à jouer les jolis cœurs. C’est qu’il nous ferait bien perdre des points si on le laissait faire. Déjà qu’on n'en a pas de trop.
La seule à ne pas partager l’hilarité générale, c’était Lorraine. On la surprenait de plus en plus souvent à rêvasser sur un lit, les yeux perdus dans le vague. Quand on lui demandait –sans ménagement- si vraiment, elle n’avait rien de mieux à faire, elle rougissait, balbutiait, cherchait des excuses bidon genre « j’attends que les tomates poussent ou j’attends qu’il tombe enfin de la pluie ». Mais nous savions bien que ses pensées étaient ailleurs.
Quand elle quittait la chambre, c’était pour travailler au portrait d’Intell.
Mais elle refusa tout net de le vendre. Il allait trôner à jamais dans la salle d’activités.
Fort heureusement, d’autres se moquaient pas mal que leurs chef-d’œuvres soient régulièrement mis en vente par les aspirants à la richesse. Autrement Intell et moi-même aurions eu toutes les raisons de déprimer.
Hanyo fut la première à compléter sa barre de créativité.
Kimarion fut la seconde à décrocher son badge d’argent en jardinage.
Elle n’était pas peu fière d’aller annoncer la nouvelle à Intell sur le mode de la plaisanterie.
- Intell ! Hé, Intell, t’auras plus besoin de te mettre en petite tenue devant les tomates pour les faire rougir. Je peux te donner un coup de main maintenant.
Mais Intell et les blagues salaces, ça fait deux. Il te la rembarra sans ménagement.
- Je me suis JAMAIS mis en petite tenue devant les tomates ! Pas ma faute si j’ai perdu le haut de mon pyjama dans le déménagement. Y en a marre de me prendre comme tête de Turc. Je fais mon travail, moi ici. Tout le monde peut pas en dire autant.
Kimarion crut qu’il parlait pour elle et en fut toute chagrinée.
- Tu te rends compte, Fonsine, Intell m’a dit que je servais à rien. C’est pourtant pas faute de me crever à jardiner.
- Meuh-nan, il parlait pas pour toi. Regarde-moi, je sers pas à grand chose non plus, mais je le prends pas pour moi. Je voudrais pas dire, mais y a pire que nous, tiens Zundapp. A part vider le bar…
- Vous parlez du poids mort ? confirma Intell qui avait surpris la fin de la conversation.
- Moui… elle pourrait quand même faire des efforts. On essaye tous de se rendre utile à notre manière, mais elle, on dirait qu’elle se moque du défi. T’as vu le temps qu’elle passe à picoler ? soulignai-je.
- Sans compter qu’il lui faudrait des toilettes perso, parce qu’elle passe son temps en aller-retours entre le bar et les chiottes, appuya Hanyo.
Totalement rassurée maintenant, Kimarion en rajouta une couche dans l’horrible.
- Le mieux, ça serait qu’elle meure nan ? Au moins, là elle serait utile, avec toutes les aspi-connaissance qui rêvent de voir un fantôme. Et on pourrait la remplacer, ça ferait des points pour le défi.
Nous ignorions tous que Zundapp, de la cuisine, avait tout entendu.
Ca lui a fait un choc. On se demande bien pourquoi. C’était jamais que la vérité.
Elle devint inconsolable, accusant tout le monde de ne pas l’aimer
- Bouhouhou, y a pas que moi qui sert à rien, Kimarion, Fonsine, Intell, eux non plus servent pas à grand chose. Pourquoi on en a toujours après moi ?
Le lendemain, Intell faillit se faire tuer quand il voulut lui mettre les points sur les « i ».
- Encore fourrée dans les toilettes ? Ma parole, t’y passes ta vie. On a bien raison de dire que tu sers à rien.
- QUI ? QUI dit que je sers à rien ? demanda Zundapp, ajoutant : C’est toi ! toi ! tout en lui martelant l’épaule à coups de poing. Et vous savez ce qu’il a eu le culot de répondre, ce faux-jeton d’Intell ?
- Ben-nan hé, tu te trompes. C’est la Fonsine ! C’est elle qui tire les ficelles ici.
Partant de là, il n’en fallut pas plus pour que je devienne son pire cauchemar.